Les Grades et le Pratiquant en Aïkido
Avec la révolution Meiji, le système d’enseignement et de progression utilisé dans les écoles traditionnelles d’arts martiaux (le système Menkyo*) a été remplacé par le système des degrés (Dan).
Ce nouveau système, mis au point par Jigoro Kano dans son Judo Kodokan, a été peu à peu adopté par toutes les écoles modernes de Bu-Do. Il existe encore aujourd’hui au Japon des écoles (Ryu) qui gardent l’ancien système Menkyo et d’autres écoles dans lesquelles les deux systèmes (Menkyo et Dan) coexistent, une équivalence entre eux étant établie. En Aïkido c’est le nouveau système (Dan) qui est utilisé.
Avant d’aborder le système de grades qui est actuellement employé en Aïkido il serait utile de faire un bref résumé historique de la notion de grades au sein des disciplines japonaises.
A l’époque où les diverses disciplines avaient obligatoirement une raison d’être pratique (applications en situations réelles combatives) il est évident que le pratiquant remplissait son devoir de guerrier soit en gagnant et en restant en vie, soit en sacrifiant sa vie pour gagner, soit en perdant. Les choix n’étaient pas particulièrement grands en ce qui concernait son efficacité combative.
La notion d’un système de grades basé sur une évaluation de capacités combatives aurait été, pour ainsi dire, un non-sens. En revanche, chaque école avait besoin d’un système pour reconnaître les capacités d’enseignement du pratiquant en tant que transmetteur des structures techniques, philosophiques, éthiques et autres de l’école. C’est ainsi que fut institué le système Menkyo-Kai den.
Celui-ci, je le répète, n’était absolument pas basé sur l’efficacité personnelle du pratiquant mais constituait, plutôt, un certificat assurant qu’il avait accompli une certaine étude au sein d’une école et qu’il pouvait retransmettre (selon les règlements intérieurs propres à chaque école) la partie du curriculum de l’école qu’il avait maîtrisée et qu’il était autorisé à enseigner. Aujourd’hui, la confusion est née du fait qu’un pratiquant, possesseur d’un diplôme d’enseignant de haut-niveau de l’école, devait forcément être très efficace sur le plan combatif. Cette distinction est fondamentale si l’on veut comprendre le problème des grades historiques ou actuels.
Dans le système Menkyo, il existait, généralement, 3 à 5 certificats, donc niveaux d’enseignant. Le premier certificat s’appelait « Oku-Iri » et il avait pour but de sanctionner que l’élève avait accompli son étude des bases et pouvait être considéré comme véritablement membre de l’école. Ceci exigeait une dizaine d’années d’apprentissage (à raison de plus de 3 heures par semaine) durant laquelle il se familiarisait avec le curriculum de base. En principe, ce certificat comprenait très peu de qualifications à l’enseignement et cela seulement en présence d’un instructeur plus qualifié et à sa demande. C’est l’entraîneur.
Venait, ensuite, deux certificats de qualification d’instructeurs : le Sho-Mokuroku et le Go-Mokuroku. Ces deux niveaux correspondaient respectivement à Assistant-Instructeur et Instructeur. Ils devaient être parfaitement familiarisés avec le curriculum technique de l’école, et ils jouaient un rôle important dans la formation des jeunes élèves et dans la vie de l’école.
Le certificat de Menkyo ou Menkyo-Kaiden signifie la maîtrise et son détenteur est pleinement qualifié pour tous les aspects de l’enseignement de l’école. On peut dire qu’il correspond symboliquement au 8ème Dan actuel. Il pouvait, à ce stade et si l’école l’estimait nécessaire, ouvrir son propre dojo ou école. En effet, la maîtrise impliquait une certaine liberté d’action.
Le système KYU-DAN est une invention relativement récente dans les disciplines dites Shin-Budo ; il date, comme vue plus haut, de la fin du siècle dernier et du début du siècle actuel. Nous devons sa popularisation surtout au Judo et au Kendo. Ce système de grades s’inspire d’une philosophie Neo-Confucianiste qu’on appelle Chu-Hsi.
Le concept central du Confucianisme Chu-Hsi est basé sur la dualité "yukei-mukei", littéralement : "ce qui a la forme et ce qui n’a pas de forme". On dit, par exemple "Yudansha-Mudansha", c’est à dire : "les pratiquants à grade Dan et les pratiquants n’ayant pas de grade Dan. D’ailleurs nous retrouvons partout dans les disciplines modernes ces concepts dualistes que le pratiquant doit faire transparaître au travers de sa pratique tant sur le plan "mentale" que sur le plan "physique". Ce mariage "de l’action et de l’inaction" s’appelle "Sei to Do". On trouve d’autres aspects de ce dualisme dans : "l’engagement et le non-engagement"- "yuken to muken"; "l’essence et la fonction"- "tai to yo" ou dans "l’énergie et la raison"- "ki to ri", etc.
« Une des différences que l’on peut constater entre le système Menkyo et le système Kyu-Dan est la question de l’intégrité relative des grades. Les grades dans le système Menkyo accordent beaucoup d’importance sur la préservation de la tradition et les écoles (ryu) font de grands efforts pour soigneusement conserver une valeur la plus sérieuse au niveau des certificats d’enseignant délivrés aux pratiquants. Ceci est renforcé par le découragement de la course aux grades. Les grades Kyu-Dan manquent souvent d’intégrité car ils sont souvent accordés pour d’autres raisons que la capacité technique réelle du pratiquant. C'est ainsi qu’ils deviennent la source même de désaccord et de luttes intestines au sein de la discipline de la part de personnes ambitieuses cherchant les titres et prestige. Les disciplines modernes accordent trop souvent une importance excessive aux grades. Le résultat est que la finalité de l’entraînement vise l’acquisition de grades, quel que soit les moyens. Souvent c’est l’individu lui-même qui choisit de se présenter et fait la demande du grade qu’il désire obtenir, du fait de la tolérance des jurys vis à vis de l’appréciation des techniques nécessaires à l’accession du grade demandé. »
Ce dernier texte est tire des écrits de M. Donn F. Draeger, un des chercheurs historiques du Budo Japonais les plus qualifiés de notre temps. Il résume d’une manière explicite la situation que l’on peut constater comme étant extrêmement répandue actuellement. Que l’on considère que ceci constitue « l’esprit originel » de ceux qui ont créé le système Kyu-Dan ou pas nous sommes obligés de considérer qu’il en fait partie aujourd’hui. Dans tous les cas, on peut constater que les pratiquants qui font la « course aux grades » ignorent les objectifs profonds du Budo car lorsqu’on est conscient des buts l’acquisition des grades devient secondaire.
Lorsque les disciplines furent ouvertes au grand public il s’est avéré nécessaire d’instaurer un système qui reconnaîtrait la capacité technique (pas nécessairement en tant qu’enseignant) de chaque élève et à tous les niveaux. L’absence totale de situations réelles combatives, où il est question de vie et de mort, permet une évaluation de l’individu au sein de la masse, ce qui n’avait pas de sens dans le passé, mais qui se trouve aujourd’hui confondu avec la capacité d’enseigner. Ceci est d’autant plus vrai que les Fondateurs des disciplines modernes ont encouragé une diffusion à grande échelle à travers le monde entier.
Pour mieux comprendre les raisons d’être du système KYU-DAN il est intéressant de se pencher sur les concepts très stricts de l’hiérarchie au sein de la société japonaise. Mais il suffit de dire ici que ce peuple est très attaché culturellement au "titre", au "récompense", à la "reconnaissance" et au "cadeau" pour pouvoir situer l’individu au sein de sa société et les disciplines sont perçues et structurées selon le modèle de la société japonaise.
Les grades en Aïkido, comme dans d’autres disciplines, ont été instaurés par son fondateur Morihei Ueshiba. O-Sensei, a évolué spirituellement tout au long de sa vie, et par la même ses vues se sont modifiées. Il est également clair qu’à aucun moment dans sa vie, il n’a été particulièrement préoccupé par des questions d’ordre matériel ou d’organisation. La délivrance des grades était pour la plupart, sur l’inspiration du moment et sous sa seule autorité.
O-Sensei a reçu le Menkyo de Daito Ryu en 1916. Il a décerné le Mokuroku d’Aïkido à certains des premiers disciples de son système et une copie de son livre, le « Budo Renshu », à d’autres, faisant ainsi office de permission et de certificat d’instructeur.
En 1931 Ueshiba Sensei a ouvert le dojo Kobukan et à partir de cette date il y avait des instructeurs qui enseignaient en dehors du dojo à des endroits divers. Ces professeurs avaient besoin de grades officiels et c’est à cette époque qu’on a commencé à délivrer les Dan.
Cependant ce n’était qu’après la fondation de l’AIKIKAI en 1948 que le système KYU-DAN a été formalisé.
Il est évident que Maître Ueshiba considérait que le 8ème Dan correspondait à l’ancien Menkyo et il l’a donc décerné à ses meilleurs disciples d’avant et d’après-guerre. Certains 9ème Dan ont été distribués notamment à des personnes qu’il aimait bien ou qui le lui avaient sollicité.
Il y a cependant une chose que nous devons toujours garder à l’esprit : du fait de son esprit de non-attachement aux considérations matérielles, la question de la délivrance des grades à ses grands disciples- c’est à dire qui a vraiment reçu quoi, quand et pourquoi- ne sera jamais parfaitement claire. Mais, par la même occasion, il nous laisse, par son exemple, un merveilleux enseignement sur ce que doit être notre attitude envers la question des grades- le système existe (O-Sensei lui-même l’ayant mis en place), il est adopté par l’Aïkido dans le monde entier et il est d’une grande valeur, et notre attitude doit être celle d’un être humain libre spirituellement et guide par un esprit de Non-Attachement.
Dans le système des Dan, il y a deux catégories : MUDANSHA (sans Dan) et YUDANSHA (titulaire de Dan).
La catégorie Mudansha est divisée en six niveaux de progression (Kyu), en ordre décroissant, du 6ème Kyu au 1er Kyu. Le débutant qui monte pour la première fois sur un Tatami est 6ème Kyu.
La catégorie Yudansha contient dix niveaux de progression (Dan), du 1er Dan au 10ème Dan. A un certain niveau, l’attribution des Dan est honorifique, tenant compte de la contribution apportée à l’enseignement et au développement de l’Aïkido.
Premier Dan en Japonais se dit Shodan. L’idéogramme Sho signifiant débutant. On débute l’Aïkido à partir de la ceinture noire.
Tous les arts Japonais, qu’ils soient martiaux (Judo, Kendo, Karate…) ou traditionnels (cérémonie du thé, jeu de Go, jardinage…) ont un système de Dan. Le Dan est souvent mal compris en Occident. D’une manière générale, il sanctionne un niveau technique, bien sûr, mais également un état de progression intérieur lié à la pratique.
Le niveau (degré) atteint par l’aïkidoka est extériorisé par la couleur de la ceinture. Ainsi :
Les Yudansha portent une ceinture noire.
Premier Dan : c’est celui de l’étudiant (sen).
Deuxième Dan : correspond au titre de « disciple » (go-no-sen).
Troisième Dan : c’est celui du disciple « confirmé ».
Quatrième Dan : grade d’ « expert » (sen-no-sen).
Cinquième et sixième Dan : Ce sont les « experts spirituels » (kokoro).
Septième Dan et jusqu’au dixième, les experts se spécialisent (ce sont les Iro-kokoro).
Seuls les gradés des 9ème et 10ème Dan ont droit au titre de « Maître ».
Les grades honorifiques sont ceux de Hanshi (qui correspond à la maîtrise spirituelle), de Kyôshi (donné aux experts des 6ème et 7ème Dan, et qui indique le degré de perfection intérieure) et le Renshi, donné aux pratiquants du 5ème Dan, et symbolisant qu’on a atteint une parfaite maîtrise de soi.
La ceinture des Mudansha est blanche (pour les Kyu de 6 à 3) et marron (pour le 2ème et le 1er Kyu). Il y a des clubs ou la ceinture blanche est portée du 6ème au 1er Kyu, d’autre encore ou la ceinture marron n’apparaît que pour le 1er Kyu. Une tradition existe aussi de décerner la ceinture marron à celui qui a échoué au 1er Dan.
Dans certains Dojo (suivant le principe introduit il y a quelques décennies par Maître Kawaishi Mikonosuke*) à chaque Kyu correspond une couleur :
6ème Kyu ceinture blanche,
5ème Kyu ceinture jaune,
4ème Kyu ceinture orange,
3ème Kyu ceinture verte,
2ème Kyu ceinture bleue,
1er Kyu ceinture marron.
n.b. : a partir de 2ème Kyu et au delà, une ceinture violette est décernée à tout pratiquant n’ayant pas 14 ans.
Conformément à la tradition et au bon sens, O-Sensei Morihei Ueshiba, le fondateur de l’Aïkido, ainsi que ses descendants qui lui ont succédé à la tête de l’Aïkikai (son fils Kisshomaru Ueshiba et son petit-fils Moriteru Ueshiba) sont au-dessus de tout système de grade en Aïkido.
Cette idée de non grade devrait s’imposer à tout professeur d’école d’Aïkido. Pour simplifier, le professeur doit être le seul, au sein de son école, à échapper à ce système de grade.
Selon l’idée du Ministère des sports Français et de certaines Fédérations Françaises d’Aïkido, la « promotion » en Aïkido se fait sur la base d’examens ; à chaque Kyu et à chaque Dan correspond un certain temps de pratique effective sur le tatami. Cette idée, bien loin, faut-il le préciser, de celle d’O-Sensei Morihei Ueshiba, n’est pas suivi par l’école de la Marsange (dont notre club fait parti). Chez celle-ci, comme presque partout à travers le monde, le professeur est le seul juge de la progression de ses élèves. Pour cela, celui-ci s’appuie sur trois éléments :
TAI le corps,
GI la technique,
SHIN l’esprit,
Dans un Dojo, tel élève méritera un grade pour la finesse de sa technique et tel autre bien moins doué aura un grade équivalent ou supérieur en raison de son comportement vis à vis des autres et du dojo. Deux élèves pratiquant depuis le même nombre d’années et au même rythme n’ont pas forcément au départ les mêmes qualités physiques ou autres. Il est évident que l’un aura une forme extérieure plus agréable, plus fine. Mais qui peut juger de la progression intérieure, conséquence directe d’une pratique assidue ? En fait, le professeur seul.
AIKIDOKA signifie, littéralement, expert (KA) en Aïkido, et, par extension, désigne le pratiquant d’Aïkido, de l’élève jusqu’au Maître.
AIKIDO-SHUGYOSHA signifie « celui qui cherche la Voie en pratiquant l’art de l’Aïki », et est, conformément à la véritable appellation japonaise, le nom qu’un pratiquant d’Aïkido devrait porter.
SENSEI signifie « celui qui est né en avant ». Dans les Budo, Sensei désigne le professeur (qui ne doit pas être nécessairement Maître…).
SHIHAN est un titre de maîtrise et désigne « le Maître ».
O-SENSEI signifie « grand professeur ». Ainsi est appelé Morihei Ueshiba, le fondateur de l’Aïkido.
DOSHU signifie « le Maître de la Voie », grand Maître d’une école. Ainsi s’appelait Kisshomaru Ueshiba dès qu’il suivit son père à la tête de l’Aïkikai.
WAKA-SENSEI signifie « le jeune Maître », « le fils du Maître » et n’est utilisé que tant que le Maître est encore en vie. Ainsi s’appelait Kisshomaru Ueshiba quand O-Sensei Morihei Ueshiba était encore en vie.
KO-HAI signifie les élèves débutants.
SEMPAI signifie les « anciens » du Dojo.
UKE signifie « recevoir ». Uke est celui qui chute, qui reçoit l’attaque, qui reçoit l’énergie.
SEME signifie celui qui attaque.
SHITE signifie celui qui fait, qui exécute.
NAGE signifie celui qui projette.
TORI signifie celui qui prend.
AITE signifie « la main d’en face ». Aite est à la fois partenaire et adversaire.
Pour exprimer le changement des rôles entre deux partenaires, pendant l’exécution d’un mouvement d’Aïkido, on dit :
« Uke soku Seme », « Seme soku Uke ».
*Kawaishi Mikonosuke :
Maître d’arts martiaux, spécialiste de judo du Kodokan. Il vint en France en 1935 et y fonda un club Franco-japonais qui, en 1938, fusionna avec le « Ju-jutsu Club » de France. Il créa également une méthode française de Judo, appelée de son nom, et dans laquelle les noms des mouvements étaient francisés, ainsi que le système de ceintures de couleur.
Parti au Japon au début de la guerre, il revint en France en 1949 et s’y installa définitivement pour enseigner le Judo.
*Menkyo :
Ancien système de rangs ou de grades dans les anciens Bugei, consistant en sortes de « licences » ou certificats (Makimono), au nombre de trois à cinq, délivrés par le maître d’un Ryu à ses disciples selon leur aptitude à enseigner.